Dans sa publication du mois de novembre, Esprit de Corps voulait rendre hommage à tous les militaires en service qui avaient perdu la vie, soit à l'entraînement, soit en missions de paix, durant l'année 1993. Notre but initial était de faire un texte commémoratif de huit pages. Pour nous faciliter la tâche, nous avions fait appel à un officier du ministère des Affaires publiques. Huit semaines plus tard, et deux jours avant la date d' échéance de notre publication, nous avons reçu du Quartier général de la Défense nationale une simple feuille dactylographiée contenant seulement des noms, des grades et des dates. L'article condensé que nous avons donc préparé‚ n'était basé uniquement que sur l'information recueillie dans différents journaux.
Depuis cette publication, nous avons reçu de nombreux appels téléphoniques, nous demandant de bien vouloir clarifier certains points. Nos sources semblaient se questionner sur la mort d'un militaire en particulier et leur version des faits était très différente de ce qu'essayait de nous faire croire depuis aussi loin que le 11 novembre 1993, le département des Affaires publiques.
Le 19 juin 1993, un communiqué de presse de la Défense nationale déclarait :"le caporal Daniel Gunther est décédé le 18 juin, des suites de blessures qu'il a reçues lorsqu'un obus de mortier est tombé tout près de son véhicule".
LA VÉRITÉ
Le caporal Gunther a été directement visé par une arme antichar, en plein jour, sans aucune considération quant à son appartenance aux Nations Unies. L'arme utilisée n'est pas tombée près de son véhicule. Elle lui a complètement déchiqueté la tête et le tronc pour ensuite exploser sur la partie arrière du véhicule.
Qui connaissait la vérité?
La première nouvelle relatant cet "évènement" est arrivée au Quartier général de la Défense nationale 15 heures après l'évènement et indiquait que le caporal Gunther avait été touché par une arme antichar.
Six heures plus tard, une autre nouvelle en provenance de la Bosnie indiquait, curieusement, qu'un char TTB * avait été touché par un obus de mortier.
Basé sur ces faits, le ministère des Affaires publiques a talonné le Quartier général de la Défense nationale pour qu'il éclaircisse ce qui semblait être une pure fabrication des faits. Une Commission d'enquête a donc été tenue et elle a conclu en date du 10 juillet, que: "Hors de tout doute, il est certain que l'arme utilisée était bien une arme antichar et non un obus de mortier". (Voir Résumé de Commission d'Enquête)
Les témoignages recueillis dans le rapport officiel font référence au son que fait généralement un tir de mortier et au bruit de l'explosion qui se produit deux secondes plus tard. L'autre membre de l'équipage fut questionné quant au temps d'envol de l'arme et sa réponse fut: "3 … 4 secondes". Comme il n'y avait aucune autre évidence de disponible, soit immédiatement après l'attaque ou pendant l'enquête, il est raisonnable de dire que ces soldats auraient réalisé tout de suite, que l'arme utilisée ne pouvait pas être une bombe de mortier (même un fantassin sait qu'une bombe de mortier a un temps d'envol de 30 secondes et plus!)
En laissant le temps nécessaire à toute la bureaucratie de bien vérifier les faits avant de se rétracter, nous ne pouvons que nous questionner sur le fait que les résultats de l'enquête n'aient pas été rendus publics après le 10 juillet.
"Toutes ces choses doivent passer par les échelons décisionnels, et cela prend du temps" nous a dit Bob Gonzales, le porte-parole en chef des Affaires publiques en réponse aux questions que lui posait Esprit de Corps le 16 septembre (apparemment, le chef de la Défense nationale Anderson n'avait pas encore lu le rapport). Il ne le lira donc jamais?
Y a-t-il eu amplement de temps pour permettre que la vérité soit rendue publique? Plusieurs éditoriaux et articles de journaux parus après la mort du caporal Gunther, disaient que le manque d'équipement armurier et l'âge avancé du véhicule M113 dans lequel prenait place le caporal Gunther étaient les vrais responsables de la mort de celui-ci. On pouvait y lire: "si nos véhicules ne peuvent même pas arrêter un obus de mortier, à quoi sont-ils bons?"
Apparemment, c'était plus avantageux de montrer à la population que les équipements militaires étaient désuets que d'admettre qu'un de leur soldat avait été‚ assassiné ! D'autres évènements viennent étayer cette théorie. Les Canadiens ont été outrés d'apprendre qu'onze de leurs soldats avaient été tabassés par des Serbes ivres. On peut facilement s'imaginer comment un meurtre de sang-froid, (s'il avait été rendu public), aurait été perçu, alors qu'on était en pleine période électorale !!!
Qui sont les victimes?
Les camarades du caporal Gunther qui continuent de servir malgré les dangers évidents d'une telle mission et dont le département des Affaires publiques refuse toujours de parler.
La terrible explosion a violemment secoué le véhicule et le sergent Robert a réagi instinctivement. Il s'est empressé de re-fermer la porte de combat en hurlant au caporal Gunther de "décamper au plus vite". Mais en se retournant, le sergent Robert n'a vu que le bas du corps du caporal Gunther, qui gisait sur le compartiment du chauffeur. Le sergent Robert n'était pas qualifié pour conduire le véhicule mais il a daplacé les restes de son camarade, a pris la place du chauffeur et a conduit le véhicule dans un endroit sécuritaire. Pour ne pas que ses camarades ne soient affectés par cette vue horrible, le sergent Robert s'est arrangé pour qu'ils ne voient rien. Un tel héroïsme et une telle discipline de sa part, devraient être soulignés non pas lors d'un dîner militaire privé mais comme exemple de bravoure devant toute la population canadienne.
Que nous réserve l'avenir?
Malheureusement pour nos militaires, le département des Affaires publiques préfère s'en tenir au statu quo qui privilégie les intérêts politiques au détriment de ceux qui portent l'uniforme. Lorsque nous avons dévoilé la vraie version des faits concernant l'assassinat du caporal Gunther, au journal "Toronto Sun" (le 17 décembre), notre bureau a été informé que nous avions violé un abus de confiance et qu' "il serait très sage (pour nous) de protéger nos arrières!"
Le 6 janvier, René Gauthier, un porte-parole d'Air-Canada nous appelle pour nous dire que "Des hauts placés de la Défense nationale n'étaient pas du tout contents avec Esprit de Corps" et qu'ils décidaient d'annuler l'abonnement à notre revue. Cette revue a été distribuée pendant 5 ans et gratuitement dans tous les avions des forces armées canadiennes)
Se pourrait-il que ces deux évènements soient reliés ?
Bob Gonzales est un loyal serviteur!
*TTB:= Transport de troupes blindé
Auteurs de ce site: Peter Gunther et Dominique Leiba-Gunther